Chirurgie alaire

Ce post concerne les diurnes, étant donné la durée de vie très brève des nocturnes et le fait que, de toute façon, leurs ailes s'abiment très vite, les réparer ne présente aucun intérêt.

Par contre avec les diurnes on a 2 problèmes fréquents:

1. beaucoup de pertes lors de l'émergence avec des papillons dont les ailes se déplient mal
2. les ailes s'abiment et se brisent de manière accidentelle assez souvent.

Par exemple, je ne fais quasiment plus de morpho car, dans les conditions de ma serre, après 15 jours (voir moins) les ailes des papillons se brisent et le papillon termine sa vie de façon lamentable.

Avec les Héliconius et les D julia (et d'autres), surtout avec les chrysalides du commerce, c'est surtout l'émergence qui pose un problème. Les ailes du papillon ne se développe pas correctement et ce dernier ne peut pas voler et est condamné. Un papillon ainsi handicapé tient un ou deux jours, dans ma serre, en sautillant au sol avant de mourir de faim ou d'être dévoré par les fourmis.

Depuis longtemps, je m'étais dit que je pourrais réparer les ailes mais je n'avais jamais sauté le pas car je pensais la chose impossible. Jusqu'au week end dernier ou j'ai vu cette vidéo (en anglais).  

   

Il y en a qui ont osé avec un D. Plexippus et qui le démontre !!!! donc ça peut se faire.

Comme j'avais justement un H. melpomene qui venait de rater son émergence, je me suis lancé le soir même. Je suis parti d'un papillon avec les deux ailes postérieures froissées. Le papillon était vigoureux (beaucoup de papillons ratent leur émergence car ils n'ont aucune vigueur, ceux là sont sans espoir) et ses ailes antérieures étaient en bon état.  Je n'ai malheureusement pas pris de photo avant l'opération.

Premier problème, un Héliconius ne se laisse pas faire et je n'ai pas réussi à utiliser le système d'immobilisation de la vidéo. En fait j'étais sur une toile cirée et j'avais peur d'écraser les pattes en l'immobilisant comme proposé. Avec une serviette c'aurait peut être été mieux. J'ai finalement tenu le papillon par le thorax avec un glaçon en plastique à coté pour le refroidir et essayer de le calmer.

Deuxième problème, il faut vraiment un ciseau qui coupe bien. Il faut couper net les parties froissées et uniquement elles. Dans mon cas, c'était pratiquement toutes les ailes postérieures sauf un bout qui formera un support suffisant pour coller les nouvelles ailes.

Troisième problème, il faut des ailes équivalentes pour le remplacement. J'avais gardé un vieil H. melpomene défraichi et complètement sec dans une boite en plastique. Les couleurs étaient un peu passées (voir photos) et les ailes très fragiles mais ça allait faire l'affaire.

Quatrième problème, la collage, il faut mettre à peine mais assez de colle (le cure dent est très bien pour ça) sur les nouvelles ailes et le problème délicat c'est de coller et d'établir le contact avec les parties restantes des anciennes ailes sans trop les toucher pour ne pas enlever les écailles. Pour ce faire j'ai utiliser un outils plus précis que celui de la vidéo, une pince très fine provenant d'une trousse de dissection. Je m'en sers pour tout les travaux de précision, bouger les œufs, transporter les bébés chenilles etc... Je n'ai pas utilisé de talc (je n'en avais pas) et c'est une erreur car à la moindre bavure de colle toutes les ailes seraient restées collées ensemble et le travail n'aurait servi à rien.

Et voila le résultat:





On voit bien que les nouvelles ailes postérieures ne sont pas de première jeunesse. Leur ancien propriétaire était mort de vieillesse il y a quelques années. Elles sont marrons et pas noires et elles sont usées sur le bas. Mais le résultat est parfait le papillon est comme neuf (malheureusement je n'ai pas pensé à faire une photo avant pour la comparaison).



Revoilà le papillon opéré dans la posture de repos classique d'un Héliconius, tête en bas et ailes repliées. Je l'ai nourri et laissé là pour la nuit en convalescence.

Maintenant les résultats pratiques. Je dois dire que j'étais assez inquiet car je partais d'un papillon pitoyable qui ne ressemblait à rien et qui, chaque fois, qu'il essayait de s'envoler tombait sur le dos et se déplaçait alors pattes en l'air comme un cafard. Le résultat, au moins, ressemblait à un Héliconius mais allait il voler?

Juste après le collage, il est parti sans que je le veuille et à fait un petit vol tout droit pour se poser correctement sur un broc. Je n'ai pas insisté car je ne voulais pas prendre le risque que tout se décolle, j'ai donc remis les essais au lendemain. Le lendemain matin, je l'ai mis avec les autres dans la serre et suis parti travailler. Il lui a fallu 2 jours pour qu'il prenne ses marques, il volait peu et le soir il était à terre (la position de tous les dangers, la nuit, dans une serre extérieure). Je le perchais le soir et le nourrissais le matin.

Puis tout s'est mis à s'arranger, je le retrouvais perché le soir de lui même. Je n'avais pas l'occasion de le voir voler car je partais au travail avant les envols et je revenais après. Aujourd'hui je l'ai vu (on le reconnait assez vite à la différence de couleur des ailes), il volait, butinait et vivait sa vie de papillon. Opération réussie donc sur toute la ligne, j'ai un papillon en plus et sa vie a déjà été prolongée d'une semaine. Il ne vivra surement pas aussi longtemps qu'un Heliconius normal mais au moins il aura vécu comme un papillon.

Bruno

Bonjour,

c'est une très jolie histoire, et très impressionnante.

Comme je le disait dans un autre poste peut être pourrais tu essayer d'endormir le papillon au congélateur mais dans une enceinte riche en CO2. A tester.

En tout cas bravo, c'est super de voir ça. J'espère qu'il y en aura d'autres (enfin si tu n'as plus de papillons handicapés c'est tant mieux aussi ! ), avec une photo avant après.

très fort Bruno !!

Hello

Merci Sabine, je suis assez content de moi sur ce coup là .

Sinon pour répondre à Zadouza, des papillons handicapés j'en ai plein (trop). Surtout avec les commandes de chrysalides chez Stratford. Il y a beaucoup de pertes mais ils ne sont pas tous opérables.

La plupart d'entre eux n'arrive même pas à sortir de leur chrysalide et ceux là il n'y a rien à faire. Même en les aidant à sortir on n'aura jamais un papillon, ils sont foutus. Ca doit venir de la souche, de la conservation des chrysalides ou du transport?

Ensuite il faut que le papillon soit vigoureux. Mon test c'est de les mettre dans une boite dans ma cave (au frais et dans le noir pour qu'il ne s'abime pas) pendant 2/3 jours en les nourrissant tous les jours bien sur. Si le papillon reste en vie sans faiblir c'est qu'il peut vivre plus.

Et enfin, il faut qu'ils aient au moins un bout d'aile correctement développé pour pouvoir faire un raccord. J'ai un Papilio nireus, mal sorti ce matin, en attente (dans ma cave) mais je n'ai pas d'aile de papilio d'avance.

Génial ce poste ! Si tu retentes la chose, j'aimerais bien voir la différence avant/après.

Lucile

Je suis admiratif !
"Et enfin, il faut qu'ils aient au moins un bout d'aile correctement développé pour pouvoir faire un raccord. J'ai un Papilio nireus, mal sorti ce matin, en attente (dans ma cave) mais je n'ai pas d'aile de papilio d'avance." Un bout d'aile d'une autre espèce peut etre
Je rigole, mais ça pourrait marcher, ou pas?

Un bout d'aile d'une autre espèce, probablement que ça marcherait si on la fait à la forme. Mais c'est à éviter car ça risque de gêner pour la reproduction ensuite (après tout c'est quand même un but) car visuellement le papillon changerait d'aspect.

Probablement aussi qu'une structure artificielle pourrait faire l'affaire à supposer qu'elle est la légèreté et la rigidité d'une aile. Je n'en connais pas, dommage, car une aile, c'est vraiment d'une légèreté exceptionnelle.

Mon P nireus est en attente à la cave car si il est faiblard ou a un autre défaut plus grave demain ou après demain il sera mort. Si il en vaut la peine et qu'il n'arrive toujours pas à voler, je retenterai l'expérience.

Ce P nireus est un cas particulier et si j'avais une aile de remplacement ce serait facile. Son aile postérieure est formée de façon bizarre mais elle est assez droite quand même donc facile à raccorder. J'essayerais peut être avec l'aile d'une autre espèce faute de mieux.

Pour info, aujourd'hui mon papillon opéré est toujours en pleine forme, il vole, butine et participe même aux jeux des autres.

Ça serait possible que tu nous le filmes ? Enfin, si tu as l'occasion...

Salut Bruno,

Excellent !!

Tu vas finir par te reconvertir ! Lol ! Tu as raison, trop de sucre, ce n'est pas bon, l'aile de papillon c'est bien meilleur !

Filmer je ne sais pas encore faire avec mon appareil. Déjà j'ai fait des progrès en photo (pas difficile, je partais de loin) la prochaine étape se sera la vidéo.

Par contre j'ai pris des photos hier. Le malheur c'est que ces vieilles ailes sèches s'abiment vite, je ne sais pas combien de temps elles vont tenir. J'ai aussi fragilisé les ailes antérieures pendant l'intervention car il se débattait le bougre donc elles ont vieilli aussi. .

url=https://servimg.com/view/18279556/32][/url]

Le voilà sur une feuille pendant la journée



Au repos le soir

Et à titre indicatif, un autre papillon du même âge, on voit la différence, ils n'ont pas eu la même vie.

Suite de la saga.

Mon Héliconius opéré est toujours vivant (15 jours après l'opération) mais ce soir, les deux ailes postérieures que je lui ai remis sont à bout de souffle. Je viens de le retrouver à terre dans ma serre et il n'arrive plus à décoller. Mais comme il est encore bien vivant il repasse sur le billard ce soir.

Je vais essayer de lui mettre une nouvelle paire d'ailes postérieures toutes neuves et, si j'ai le courage j'opère une aile antérieure aussi.

J'ai un autre Héliconius qui est mort il y a 3 jours retrouvé mangé par les fourmis sauf les ailes, ça fera l'affaire.

Il à de la chance que l'autre Heliconius était donneur d'organes !

N'oublies pas les photos avant après !

Bon opération à aile ouverte terminée et succès sur toute la ligne. Le papillon vole bien, voila les photos.

D'abord la banque d'organes.



Ensuite mon protégé avant l'opération chirurgicale. L'avantage avec les Héliconius, c'est qu'en général ils vivent longtemps, tant qu'ils peuvent voler et qu'ils échappent aux araignées. En plus ce sont des papillons avec un comportement superbe en serre et ils sont bien plus attachants qu'un bête Papilio (bon les Papilios sont souvent plus beaux et ça compense un peu).







Et le résultat. A noter que je commence à avoir le coup et que c'était plus facile que la dernière fois en tenant le papillon par le thorax, il ne bougeait pas trop.



vue de dessus



coté face



re coté face



et coté pile

On voit bien dans deux des photos le raccord sur l'aile antérieure. En plus le papillon, une fois libéré, est allé se poser au plafond sur une poutre ce qui m'a fait faire un peu d'équilibrisme pour le photographier. Du coup je le laisse là pour la nuit après un bon repas au miel. Il repart dans la serre demain matin.

C'est super ! Il commence à être un habitué va falloir lui faire une ristourne !

En tout cas félicitations.

Oui, il commence à être habitué, il s'est plus laissé faire!

Bon j'espère que là, ça ira jusqu'à sa fin. Enfin ce n'est pas sur si il use une paire d'ailes tous les 15 jours, un Héliconius peut vivre plusieurs mois alors ???

C'est un mâle, voir si il pourra se trouver une femelle, le trouveront t'elles séduisant avec ses cicatrices? Pour l'instant ça ne pond pas trop dans ma serre (et ce n'est pas faute de passiflores). Pourtant normalement les Héliconius ne sont pas les plus difficiles et les femelles s'accouplent plusieurs fois.

Super post! Merci Bruno !
C'est assez drôle en plus

Par contre, je suis étonné que le gars au monarque lui manipule les ailes avec les doigts sans modération et ça n'a pas l'air de l'abimer.
Je pensais...peut-être qu'en se poudrant les doigts avec du talc pour éviter d'accrocher les écailles...

Surtout pas du talc ; cette poudre est tellement fine qu'elle pénétrerait dans les spiracles et boucherait les trachées, ce qui les mènerait de suite à la mort par étouffement.

C'est tout simplement genial !

Gil54 a écrit:

Surtout pas du talc ; cette poudre est tellement fine qu'elle pénétrerait dans les spiracles et boucherait les trachées, ce qui les mènerait de suite à la mort par étouffement.

Ou de la poudre pour bébé qui est utilisée dans le tutoriel mais ça doit être similaire. Évidemment, il ne s'agit pas non plus de poudrer le papillon

Mon papillon est mort il y a 2 jours. Il aura vécu 3 semaines alors qu'autrement il aurait fait 2 jours tout au plus.

En fait, c'est surtout valable pour les papillons qui vivent longtemps et qui ont des ailes abimées à l'émergence ou un accident de parcours. En ce moment, J'ai plein de Papilios anchisiades et quelques Papilios polytes dans ma serre, ils ont 3 semaines environ et certains ont les ailes bien abimées. Ils sont en fin de vie et je ne vais pas perdre de temps à les réparer.

Un Papilio tient difficilement plus de 3 semaines (et ils finissent très abimés) mais pour les Héliconius, quelques nymphalides à longue durée de vie et quelques danaïdes ça peut être intéressant de réparer les ailes en cas d'accident.

Un grand merci pour ce partage et retour d'expérience. Je n'aurais pas imaginé une telle réussite ! Félicitations