Après une absence d’un an sur le forum (bien contre mon gré) je refais une timide apparition. Je n’ai pas de reportage exaltant à proposer mais comme finalement je n’ai jamais parlé de mes installations d’élevage professionnel, je vais combler cette lacune au fur et à mesure de mon temps libre.
C’est moins distrayant que l’évocation poétique d’une expédition en Guyane, mais je pense que ce sera plus utile pour beaucoup d’éleveurs qui trouveront là matière à réflexion à défaut d’avoir les moyens nécessaires pour faire à l’identique.
Comme beaucoup le savent déjà j’élève aussi bien des papillons français que des exotiques. Il va de soi que les contraintes ne sont pas du tout les mêmes.
Pour les premiers, les installations sont faciles à construire et à gérer dans la mesure où l’on ne change pas de climat. Pour les exotiques il faut recréer des conditions de vie aussi proches que possible de celles de leur milieu naturel, et là, autre difficulté, autre coût…
Ce sont tous ces aspects que je vais développer en m’appuyant sur quelques photos prises dans mes élevages.
Je me limite aux Papillons diurnes qui d’ailleurs demandent beaucoup plus d’équipements que les nocturnes couramment élevés.
L’ELEVAGE DES PAPILLONS EXOTIQUES-
1 - PRESENTATION GENERALE DES STRUCTURESL’élevage se compose de 2 structures indépendantes reliées par un hangar fermé abritant la chaudière et dont l’intérêt supplémentaire est de pouvoir passer de l’une à l’autre sans se mouiller les jours de pluie.
• LA VOLIERE o Conception et structuresPour des raisons d’économie de matériau et d’énergie la volière est adossée contre les murs Sud et Ouest de la maison. Elle a donc la forme d’un L.
vue générale prise du Sud La taille (que j’eusse préférée un peu plus importante) m’a été imposée par la longueur standard (6 m) des plaques de polycarbonate et des cornières en T sur lesquelles elles reposent. Au final je dois me « contenter » d’une hauteur et d’une largeur de 4 m pour une surface au sol de 80 m2 environ.
Porte de communication avec le local technique
Les cornières sont fixées au mur dans leur partie supérieure et leur base est arrimée au petit mur de moellons qui définit la ceinture extérieure de la volière. Cette base est donc opaque et c’est un choix délibéré. Les papillons ont en effet la fâcheuse habitude d’aller vers les parois transparentes dès que la température est insuffisante et une fois en bas ils ont du mal à redécoller vers le centre de la serre. D’ailleurs, l’opacité des 40 cm du muret étant insuffisante, la partie basse des plaques de polycarbonate est recouverte sur sa face interne d’une ombrière verte qui, sans retirer toute la lumière, dissuade les papillons d’y rester fixés.
Ombrière vue de la maison Partie Ouest
o Les plantationsComme le sol est cimenté les plantes sont regroupées dans des sortes de jardinières en brique à l’exception des plus grandes directement mises en terre dans des réservations.
Le choix des plantes qui constituent le décor découle directement des préférences des papillons. On peut les classer en trois catégories :
- Les plantes de décoration. Leur rôle est de meubler utilement l’espace et de faire du volume ; il n’est donc pas nécessaire qu’elles aient un intérêt direct pour les papillons autre que de servir de support. Le choix est vaste et couvre l’ensemble des plantes de serre à l’exception de celles susceptibles d’être broutées par les chenilles qui les réduiraient rapidement à l’état de dentelle.
- Les plantes nectarifères. Ce sont les plus importante puisque c’est d’elles que dépend la survie des papillons. Toutes les plantes à fleur nectarifères conviennent, au moins théoriquement, mais à l’usage le choix se limite drastiquement pour se réduire aux mieux adaptées au climat de la serre et à celles dont la floraison est la plus longue. En définitive peu correspondent à ces critères. Je n’en ai retenu que 5 ou 6, à peu prés incontournables, abondamment fleuries tout le long de l’année :
qui nécessitent cependant une bonne luminosité hivernale pour continuer à fleurir correctement. Dans les régions moins favorisées que le midi la suivante est préférable.
dont la floraison est si soutenue qu’il est impossible de prélever une bouture qui n’ait pas déjà des boutons. Une précision s’impose à leur sujet. On trouve depuis quelques années de Pentas nains de couleurs variées. Ils sont reproduits par graines et c’est justement leur défaut puisque la production de graines limite et même dans ce cas inhibe la floraison. Il faut leur préférer les variétés anciennes, beaucoup plus hautes (jusqu’à 4 m si elles sont étayées) et dont les couleurs se limitent au rouge et au rose vif.
Toutes les espèces sont intéressantes, même celles à fleurs minuscules. Comme toutes les Verbénacées, leurs fleurs tubulaires produisent un abondant nectar très prisé par tous les papillons.
La préférée des Heliconius mais délaissée par la plupart des autres papillons à cause de sa structure en tube pendant qui impose au visiteur une gymnastique inhabituelle dont seuls les Héliconius semblent capables ; il y trouvent de plus un pollen abondant qu’ils sont les seuls à pouvoir assimiler.
- Le Duranta erecta (=repens)
. Contrairement aux précédentes, c’est un petit arbre qu’on est obligé de tailler régulièrement pour le maintenir dans des proportions acceptables. Seul le cultivar bleu violet « geisha girl » est intéressant. Sa longue durée de floraison, de fin Avril à fin Novembre, le place loin devant le type d’un bleu certes bien agréable, mais qui n’est en fleurs que 2 mois.
Atrophaneura polyeuctes butinant les fleurs du Duranta "geisha girl" - Les Impatiens holstii hybrides.
Ces grands classiques des jardins publics, en dépit de leur floraison continue, trouvent ici un intérêt relativement limité du fait de la longueur de leur éperon nectarifère qui limitent l’accés au nectar aux papillons à trompe très longue, essentiellement les Papilio et Hebomoia.
- Les plantes Nourricières. Le terme de « nourricières » devrait être réservé aux plantes qui nourrissent les chenilles et non pas appliqué indifféremment aux papillons et aux chenilles, source de confusions aussi fréquentes que regrettables. (C’est ainsi qu’on apprend dans la littérature spécialisée que les chenilles d’Ornithoptères se nourrissent d’Hibiscus !).
Les plantes destinées à recevoir les œufs et qui serviront de nourriture aux chenilles, ne doivent pas être plantées dans la serre si l’on ne veut pas se voir exposé au désagrément d’un décor végétal ravagé par des centaines de chenilles affamées. Il faut donc les cultiver en pots et enlever ceux-ci aussitôt que le nombre d’œufs sur les feuilles est jugé suffisant pour nourrir les chenilles au moins jusqu’ au 4ième stade.
• LA SERRE D’ELEVAGEC’est d’une autre dimension : 560 m². C’est un tunnel horticole de 8m de large, orienté Nord/Sud, recouvert de bâches plastiques comme le sont tous les tunnels horticoles et à l’intérieur duquel nous avons construit sur 350m² une serre gigogne chauffée en polycarbonate de même largeur. Le reste du tunnel n’est pas chauffé mais bénéficie dans une certaine mesure des déperditions de chaleur de la serre chauffée. C’est donc ce qu’on appelle en langage horticole un tunnel froid.
Cette double construction qui peut paraitre redondante nous est imposée par la violence du mistral qui arrache régulièrement les bâches plastiques avec les conséquences que l’on imagine aisément en hiver. Cette double structure permet en outre une substantielle économie de chauffage d’une part en procurant une isolation supplémentaire et d’autre part en annulant le léchage des parois par le vent qui intervient pour 10 à 20 % des pertes d’énergie.
o La serre chaufféeC’est la partie la plus importante de l’élevage, celle où s’effectue l’essentiel du travail. Et c’est bien là qu’on se rend compte que l’élevage des papillons est avant tout une affaire d’horticulteur et non d’entomologiste. Pas de plantes, pas de chenilles. Donc, pas de papillons. Il est illusoire de penser qu’un élevage un peu important puisse être conduit sans maitriser la culture des plantes. D’ailleurs, pénétrer dans cet espace donne l’illusion qu’il n’y a que des plantes. De fait les chenilles n’occupent qu’un espace réduit (moins de 20%). Tout le reste est consacré aux plantes à différents états végétatif, depuis les semis et boutures, jusqu’aux plantes finies, prêtes à être consommées pour terminer par les plantes retaillées et recyclées aprés consommation et qui se referont une santé en attendant le prochain broutage.
Pour des raisons de commodités la serre est divisée en 2 parties égales séparées par un couloir suffisamment large pour permettre l’installation de plantes en pot sur les côtés.
Le même à une autre période de l'année Les 2 parties sont parcourues sur toute leur longueur et contre la paroi par un petit caniveau qui reçoit l’excédent des eaux d’arrosage qui seront évacuées hors de la serre dans une tranchée filtrante.
La partie ouest est exclusivement utilisée pour le stockage des plantes. Une étagère le long de la paroi extérieure reçoit toute la multiplication. Je n’entre pas dans les détails qui sont du domaine de l’horticulture.
La partie Est (à gauche du couloir sur toutes les photos) a demandé beaucoup plus de travail. Elle est divisée en 6 modules de plan identique communiquant directement dans le couloir. Chaque module est à son tour divisé en trois sous unités fermant chacune par une porte. Seul le module central, le plus petit (4m²), reçoit les chenilles, et l’élevage proprement dit s’effectue là, à partir des plantes en pots ramenées de la volière et sur lesquelles les femelles ont pondu.
vue du module central. les chenilles les plus "baladeuses" sont maintenue sous manchon.Une chenille de ver à soie multiplie son poids de naissance par 10 000, celle du Cossus gâte bois porte le record à 50 000. Certes nous sommes loin de ces chiffres vertigineux avec les papillons de jour, mais leurs chenilles, à l’appétit plus modeste, restent quand même des ogresses qu’il faut alimenter sans interruption. Comme les plantes ne sont pas recouvertes de manchons, les opérations de nourrissage sont facilitées. En général il suffit de plaquer une nouvelle plante contre celle qui est partiellement broutée. Les chenilles ont tôt fait de déménager. Outre que cette opération permet de gagner du temps, elle évite la manipulation des chenilles, source de traumatismes physiques pour ces petits êtres mous et source de désagrément pour celui qui les manipule lorsqu’elles sont urticantes.