Au risque de décourager une partie des éleveurs qui, avec des moyens très réduits, essayent, de pratiquer l’élevage des papillons, je me décide à faire part de mes installations. Après tout, chacun pourra y puiser quelques idées et les adapter à ses propres conditions.
J’élève aussi bien des papillons français qu’exotiques. Il va de soi que les contraintes ne sont pas du tout les mêmes et seront précisées à leur place.
Pour les premiers, les installations sont faciles à construire et à gérer dans la mesure où l’on ne change pas de climat. Pour les exotiques il faut recréer des conditions de vie aussi proches que possible de celles de leur milieu naturel, et là, autres difficultés, autres coûts.
Ce sont tous ces aspects que je vais développer en m’appuyant sur quelques photos prises dans mes élevages.
Tous les produits d’élevages, exotiques ou français sont destinés à la vente aux professionnels, généralement sous forme de chrysalides qui est le stade le plus facile à expédier dans la mesure où il n’y a pas de prise de nourriture. La seule contrainte est d’envoyer des chrysalides suffisamment fraîches pour qu’il n’y ait pas d’éclosions intempestives pendant le transport.
Je fournis un peu la recherche (INRA, différents organisme de protection des végétaux, l’industrie de recherche sur les pesticides), mais la majorité de la production est écoulée vers les serres à papillons ouvertes au public. Il en existe une douzaine en France.
1 - L’ELEVAGE DES PAPILLONS EXOTIQUES
Il porte principalement sur des espèces africaines, malaises et surtout sud-américaines. Nous sélectionnons les plus décoratives et bien adaptées à la captivité.
1.1. - PRESENTATION GENERALE DES STRUCTURES
L’élevage se compose de 2 structures indépendantes reliées par un hangar fermé abritant la chaudière et dont l’intérêt supplémentaire est de pouvoir passer de l’une à l’autre sans se mouiller les jours de pluie.
1.1.1. - LA VOLIERE
Conception et structuresPour des raisons d’économie de matériau et d’énergie la volière est adossée contre les murs Sud et Ouest de la maison. Elle a donc la forme d’un L.
Vue générale prise du Sud. Sur la droite l’avancée du local technique
La taille a été imposée par la longueur standard (6 m) des plaques de polycarbonate et des cornières en T sur lesquelles elles reposent. Au final la serre mesure 4m de hauteur et de largeur pour une surface au sol de 80 m² environ.
Volière exotique : Porte de communication avec le local technique
Les cornières sont fixées au mur dans leur partie supérieure et leur base est arrimée au petit mur de moellons qui définit la ceinture extérieure de la volière. Cette base est donc opaque et c’est un choix délibéré. Les papillons ont en effet la fâcheuse habitude d’aller vers les parois transparentes dès que la température est insuffisante et une fois en bas ils ont du mal à redécoller vers le centre de la serre. D’ailleurs, l’opacité des 40 cm du muret étant insuffisante, la partie basse des plaques de polycarbonate est recouverte sur sa face interne d’une ombrière verte qui, sans retirer toute la lumière, dissuade les papillons d’y rester fixés.
vue intérieure de la volière exotique
PlantationsComme le sol est cimenté les plantes sont regroupées dans des sortes de jardinières en brique à l’exception des plus grandes directement mises en terre dans des réservations.
Le choix des plantes qui constituent le décor découle directement des préférences des papillons. On peut les classer en trois catégories :
Les plantes de décorationLeur rôle est de meubler utilement l’espace et de faire du volume ; il n’est donc pas nécessaire qu’elles aient un intérêt direct pour les papillons autre que de servir de support. Le choix est vaste et couvre l’ensemble des plantes de serre à l’exception de celles susceptibles d’être broutées par les chenilles qui les réduiraient rapidement à l’état de dentelle.
Les plantes nectarifèresCe sont les plus importante puisque c’est d’elles que dépend la survie des papillons. En effet les papillons ne peuvent se nourrir que de liquides qu’ils aspirent au moyen d’une trompe qui résulte de la transformation et la soudure des mandibules
. Toutes les plantes à fleur nectarifères conviennent, au moins théoriquement, mais à l’usage le choix se limite drastiquement pour se réduire aux mieux adaptées au climat de la serre et à celles dont la floraison est la plus longue. En définitive peu correspondent à ces critères. Je n’en ai retenu que 5 ou 6, à peu près incontournables, abondamment fleuries tout le long de l’année :
Les lantanas
Elles nécessitent une bonne luminosité hivernale pour continuer à fleurir correctement. Dans les régions moins favorisées que le midi la suivante est préférable.
Les Pentas
Heliconius melpomene butinant les fleurs de Pentas
La floraison est si soutenue qu’il est impossible de prélever une bouture sans boutons. Une précision s’impose à leur sujet. On trouve depuis quelques années des Pentas nains de couleurs variées. Ils sont reproduits par graines et c’est justement leur défaut puisque la production de graines limite et même dans ce cas inhibe la floraison. Il faut leur préférer les variétés anciennes, beaucoup plus hautes (jusqu’à 4 m si elles sont étayées) et dont les couleurs se limitent au rouge et au rose vif.
Les Stachytarpheta.
Toutes les espèces sont intéressantes, même celles à fleurs minuscules. Comme toutes les Verbénacées, leurs fleurs tubulaires produisent un abondant nectar très prisé par tous les papillons.
Le Manetia bicolor.
La préférée des Heliconius mais délaissée par beaucoup d'autres papillons à cause de l’orientation vers le bas du tube floral qui impose au visiteur une gymnastique inhabituelle ; ils y trouvent de plus un pollen abondant qu’ils sont les seuls à pouvoir assimiler.
Le Duranta erecta
Atrophaneura polyeuctes butinant des fleurs de Duranta
Contrairement aux précédentes, c’est un petit arbre qu’on est obligé de tailler régulièrement pour le maintenir dans des proportions acceptables. Seul le cultivar bleu violet « geisha girl » est intéressant. Sa longue durée de floraison, de fin Avril à fin Novembre, le place loin devant l’espèce type d’un bleu certes bien agréable, mais qui n’est en fleurs que 2 mois.
Les Impatiens holstii hybrides.
Ces grands classiques des jardins publics, en dépit de leur floraison continue, trouvent ici un intérêt relativement limité du fait de la longueur de leur éperon nectarifère qui limite l’accès au nectar aux papillons à trompe très longue, essentiellement les Papilio et Hebomoia.
Les fleurs artificielles et autres sources de nourritures
Lorsque la densité des papillons est trop forte, le nectar des fleurs est rapidement épuisé. On lui substitue une nourriture artificielle composée d’eau sucrée que l’on dispose sur des fleurs artificielles en tissus ou en plastique, rouge, (la couleur la plus attractive). Bien que ce breuvage suffise à nourrir les papillons, nous améliorons l’ordinaire en y rajoutant de la poudre d’algues et un mélange protéiné.
Certains papillons, comme le Morphos ou les Caligos, ne butinent jamais les fleurs et se nourrissent de liquides sucrés plus ou moins fermentés qu’ils trouvent dans le milieu naturel sur les fruits pourrissants ou les plaies suintantes des arbres. A cet effet nous disposons des coupelles de fruits gâtés en phase de fermentation qu’il faut changer lorsqu’ils commencent à pourrir et perdre leur pouvoir attractif.
1.1.2. - LA SERRE D’ELEVAGE
C’est la partie la plus importante de l’élevage, celle où s’effectue l’essentiel du travail. Elle se compose d’un tunnel horticole de 8m de large et 65m de long, orienté Nord/Sud, recouvert de bâches plastiques, comme le sont tous les tunnels horticoles, et à l’intérieur duquel nous avons construit, sur 350m², une serre gigogne en polycarbonate de même largeur et chauffée. Le reste du tunnel n’est pas chauffé mais bénéficie, dans une certaine mesure, des déperditions de chaleur de la serre chauffée, c’est ce qu’on appelle en langage horticole un tunnel froid.
Cette double construction qui peut paraître redondante nous est imposée par la violence du mistral qui arrache régulièrement les bâches plastiques avec les conséquences que l’on imagine aisément en hiver. Cette double structure permet en outre une substantielle économie de chauffage d’une part en procurant une isolation supplémentaire et d’autre part en annulant le léchage des parois par le vent qui cause 10 à 20 % des pertes d’énergie.
Le chauffageUne chaudière unique distribue la chaleur dans la volière et la serre d’élevage. Pendant plusieurs années nous avions un chauffage par air pulsé, le moins onéreux à mettre en œuvre, mais qui avait l’inconvénient de dessécher l’air. De plus, la chaleur montant, la température au sol était insuffisante. Pour pallier ces inconvénients nous avons opté pour un chauffage par le sol, exactement le même que celui des habitations. Installation couteuse mais qui en définitive permet des économies d’énergie dans la mesure où le gradient de température se trouve inversé avec plus chaleur au sol qu’au plafond, ce qui est exactement l’effet recherché.
Les structuresPour des raisons de commodités la serre est divisée en 2 parties égales séparées par un couloir suffisamment large pour permettre l’installation de plantes en pot sur les côtés.
La Serre d’élevage exotique chauffée. Vue sur le couloir central
.
Vue partielle des cultures plantes nourricières (ici, Aristoloches et Passiflores )
Les 2 parties sont parcourues sur toute leur longueur, et contre la paroi, par un petit caniveau qui reçoit l’excédent des eaux d’arrosage qui sera évacué hors de la serre vers une tranchée filtrante.
La partie Ouest ci-dessous est exclusivement utilisée pour le stockage des plantes. Une étagère le long de la paroi extérieure reçoit toute la multiplication. Je n’entre pas plus dans les détails qui sont du domaine de l’horticulture.
La partie Est a demandé beaucoup plus de travail. Elle est divisée en 6 modules de plan identique ouvrant directement dans le couloir. Chaque module est à son tour divisé en trois sous unités fermant chacune par une porte. Seul le module central, le plus petit (4m² au lieu de 6m² pour les latéraux), reçoit les chenilles, et l’élevage proprement dit s’effectue là, à partir des plantes en pots ramenées de la volière et sur lesquelles les femelles ont pondu.
Vue du module central : les chenilles les plus "baladeuses" sont maintenues sous manchon
Les 2 modules latéraux servent à isoler certaines espèces de papillons qui se reproduisent mieux dans des volumes restreints, ou à des espèces qui entrent en compétition pour l’usage de la plante hôte qui peut être la même pour plusieurs espèces
Les contraintes d’élevage
Elles sont variables suivant l’origine des espèces élevées. Comme il a été dit plus haut, les espèces exotiques ne demandent pas le même environnement que les espèces françaises.
En revanche pour ce qui est de la nourriture, les principes généraux sont les mêmes.
Une chenille de ver à soie multiplie son poids de naissance par 10 000, celle du Cossus gâte bois porte le record à 50 000. Certes nous sommes loin de ces chiffres vertigineux avec les papillons de jour, mais leurs chenilles, à l’appétit plus modeste, restent quand même des ogresses qu’il faut alimenter sans interruption sous peine d’obtenir des papillons de petite taille et de santé précaire.
Les plantes Nourricières et leur gestion
C’est en entrant dans une serre d’élevage exotique ou française, qu’on se rend compte que le travail de l’éleveur est avant tout une affaire d’horticulteur et non d’entomologiste. Pas de plantes, pas de chenilles. Donc, pas de papillons. Il est illusoire de penser qu’un élevage un peu important puisse être conduit sans maîtriser la culture des plantes. D’ailleurs, pénétrer dans cet espace donne l’illusion qu’il n’y a que des plantes. De fait les chenilles n’occupent qu’un espace réduit (moins de 20%). Tout le reste est consacré à la culture et la gestion des plantes nourricières à différents états végétatif, depuis les semis et boutures, jusqu’aux plantes finies, prêtes à être consommées pour terminer par les plantes retaillées et recyclées après consommation et qui se referont une santé en attendant le prochain broutage.
Vue partielle sur les cultures dans le tunnel froid
Le terme de « nourricières » devrait être réservé aux plantes qui nourrissent les chenilles et non pas appliqué indifféremment aux papillons et aux chenilles, source de confusions aussi fréquentes que regrettables.
Les plantes destinées à recevoir les œufs, et qui serviront de nourriture aux chenilles, ne doivent pas être plantées dans la serre si l’on ne veut pas se voir exposé au désagrément d’un décor végétal ravagé par des centaines de chenilles affamées. Il faut donc les cultiver en pots et enlever ceux-ci régulièrement dès que le nombre d’œufs sur les feuilles est jugé suffisant pour nourrir les chenilles au moins jusqu’ au 4ième stade.
Dans l’élevage des espèces exotiques, la plupart des plantes ne sont pas recouvertes de manchons, et les opérations de nourrissage s’en trouvent facilitées. Il suffit de plaquer une nouvelle plante contre celle qui est partiellement broutée. Les chenilles ont tôt fait de déménager. Outre que cette opération permet de gagner du temps, elle évite la manipulation des chenilles, source de traumatismes physiques pour ces petits êtres mous et source de désagrément pour celui qui les manipule lorsqu’elles sont urticantes ).
Chenille d’Archeoprepona demophon sur Anona